Le 11 mars 2025 a été déposé une proposition de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement, Cette proposition de loi reprend intégralement les dispositions du titre 1er relatif aux soins palliatifs et d’accompagnement ainsi qu’aux droits des personnes malades du projet de loi n° 2642, telles que votées à l’Assemblée nationale le 18 mai 2024. Elle contient également tous les amendements adoptés en séance sur ce titre avant l’interruption des débats en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale.
Cette proposition de loi s’inscrit dans le prolongement de plus de 35 années d’évolutions législatives. Son contenu vise à renforcer l’effectivité de la mise en œuvre des soins palliatifs et de mesures d’accompagnement. Cette proposition ménage également la discussion à venir de l’assistance à mourir qui fait encore l’objet sociétal majeur compte tenu des oppositions profondes qu’elle suscite.
1. Depuis la fin des années 1980, le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour affirmer la prise en considération du choix du patient en fin de vie et consacrer le principe du respect de sa dignité (v. Thomas CASSUTO, « La santé publique en procès » PUF 2008, pp. 142).
La loi Huriet Serusclat du 20 décembre 1988 a, pour la première fois, tenté d’apporter des réponses aux questions relatives à la fin de vie, au maintien des soins et à la dignité de la personne humaine.
La loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière dite «Évin» a opéré un changement significatif en inscrivant les soins palliatifs parmi les missions du service public hospitalier et en les distinguant des soins curatifs.
L’accès aux soins palliatifs sera reconnu comme un droit garanti par la loi avec la loi du 9 juin 1999.
En 2002, la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite «Kouchner», précise le droit au refus de traitement sans aborder la fin de vie.
La loi «Leonetti» du 22 avril 2005 aborde explicitement la fin de vie en énonçant l’interdiction de l’obstination déraisonnable. Elle permet à tout patient de refuser un traitement dès lors qu’il considère qu’il constitue une obstination déraisonnable et a le droit, dans ce cadre, de bénéficier d’un accompagnement palliatif. Elle permet également aux équipes soignantes de mettre fin à un traitement chez un patient qui n’est plus en état d’exprimer sa volonté, lorsqu’elles estiment que sa poursuite n’a plus de sens sur le plan médical et à condition d’en avoir discuté préalablement dans le cadre d’une procédure collégiale. Elle reconnaît enfin la rédaction de directives anticipées mais les encadre strictement puisque ces dernières ne sont valables que trois ans et ont seulement une valeur d’information pour le médecin qui n’est donc pas obligé de les suivre.
Le 2 février 2016, la loi dite « Claeys-Leonetti » crée de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Les directives anticipées sont renforcées puisqu’elles ont désormais une valeur contraignante pour le médecin, sauf cas exceptionnel, et ne sont plus soumises à une durée de validité. La loi ouvre également la possibilité pour le patient de demander une sédation profonde et continue jusqu’au décès, dont l’accès est strictement encadré puisqu’il est autorisé après une discussion en procédure collégiale afin de s’assurer que le patient souffre de façon insupportable et que son décès est inévitable et imminent.
Ces évolutions ont considérablement modifié l’approche de la fin de la vie. Les rapports, les études et les débats menés ces toutes dernières années ont ouvert la voir à l’idée de renforcer l’accès aux soins palliatifs. Ainsi, le rapport «Vers un modèle français des soins d’accompagnement» rendu par le professeur Patrick Chauvin le 11 décembre 2023, la prise en charge des soins d’accompagnement en France est considérée par l’ensemble des acteurs, professionnels et patients, comme encore peu satisfaisante. Ce constat est confirmé par la Cour des comptes, dans son rapport «Une offre de soins à renforcer» de juillet 2023, qui relève que seulement 48 % des besoins en soins palliatifs sont pourvus, bien que la dépense publique de soins palliatifs (1,45 milliard d’euros en 2021) ait augmenté de 24,6 % depuis 2017.
L’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) publié le 13 septembre 2022, les conclusions de la mission d’évaluation de la commission des affaires sociales portant sur la loi Claeys-Leonetti du 29 mars 2023, les recommandations de convention citoyenne pour la fin de vie rendues le 2 avril 2023 ou encore l’avis de l’Académie nationale de médecine « Favoriser une fin de vie digne et apaisée : Répondre à la souffrance inhumaine et protéger les personnes les plus vulnérables » du 27 juin 2023 soulignent tous la nécessité de développer les soins palliatifs en rendant leur accessibilité effective.
Pour répondre aux besoins exprimés en matière de soins palliatifs, des instructions ont été données, en 2023, aux agences régionales de santé pour structurer des filières territoriales. Les propositions formulées en novembre 2024 dans le cadre des travaux conduits par l’instance de réflexion stratégique chargée de la préfiguration de la stratégie nationale des soins palliatifs, de la prise en charge de la douleur et de la fin de vie ont servi de base à l’élaboration de la stratégie décennale des soins d’accompagnement.
L’ambition affichée de cette stratégie est de déterminer et de mettre en œuvre, pour les dix années à venir, un modèle rénové et renforcé de prise en charge de la douleur chronique ou aiguë et de l’accompagnement de la fin de vie, fondé sur une logique d’anticipation et de pluridisciplinarité. La gouvernance, le pilotage et le suivi de cette stratégie seront confiés à une instance créée pour une durée analogue à celle-ci.
En décembre 2022, un plan décennal sur les soins palliatifs a été annoncé. Ce plan, présenté en 2024, vise à abonder les crédits alloués aux soins palliatifs de 1,1 milliard d’euros sur 10 ans. Il vise notamment, à doter chaque département d’une unité de soins palliatifs.
2. Découplée de l’assistance à mourir, la proposition de loi de mars 2025 vise notamment à mettre en œuvre différents engagements, afin de renforcer l’accès aux soins palliatifs et d’accompagnement à l’échelle nationale. L’idée première est manifestement d’offrir une offre de soins palliatifs « et d’accompagnement » effective qui peut être considérée comme un préalable à une réflexion sérieuse sur la notion même dite de « suicide assisté ».
La proposition de loi complète (article 1er) dans le code de la santé publique (art. L.1110-10 CSP) la notion de soins palliatifs en lui associant celle d’accompagnement, afin de tenter d’offrir une prise en charge globale de la personne malade afin de préserver sa dignité, sa qualité de vie et son bien-être. Cette proposition entend, à l’instar des précédents textes favoriser la mise en œuvre des soins palliatifs et d’accompagnement sur l’ensemble du territoire selon une logique territoriale et en fonction de la situation de la personne malade (art. 2).
La notion nouvelle de soins palliatifs et d’accompagnement est intégrée (art. 3) au sein de la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie, et particulièrement au sein de l’article créant un droit de visite.
L’article 4 concourt à rendre effectif le droit aux soins palliatifs et d’accompagnement en énonçant que les agences régionales de santé sont garantes de l’effectivité de ce droit et crée une voie de recours devant la juridiction administrative. Cette disposition fondée sur le droit à un recours effectif peut apparaître contre-productive, la judiciarisation de l’accès aux soins palliatifs n’étant pas nécessairement le meilleur moyen de soulager la souffrance des patients.
L’article 5 intègre au sein du code de la santé publique la notion de « politique de soins palliatifs de la République » qui serait fondée sur la volonté de garantir à chacun, selon ses besoins et sur tout le territoire, l’accès aux soins palliatifs. Cette affirmation renvoie nécessairement à la notion de moyens à l’égard desquels on pourrait s’interroger sur le fait que les lois précédentes n’en ait pas été dotées, plutôt que de réaffirmer une énième fois le principe. Ces dispositions sont complétées par l’annonce de l’adoption par le Parlement d’une loi de programmation des soins palliatifs et d’accompagnement avant le 31 décembre 2025 puis tous les cinq ans (art. 6) et ce que confirme encore le détail des crédits attribués aux mesures nouvelles (art. 7).
Les articles 8, 9, 12 13, 14, 15 18 19, consacrent des mesures d’accompagnement comme la formation et la rédaction d’un rapport annuel sous forme d’évaluation fine du déploiement des soins d’accompagnement, dont les soins palliatifs, la remise d’un rapport sur le coût et les modalités d’une réforme du congé de solidarité familiale, le conventionnement avec les associations, à permettre un plus large déploiement de l’accompagnement bénévole au chevet des personnes en fin de vie à domicile, la mise en place d’un dispositif de soutien à la personne, dans le cadre de l’annonce du diagnostic d’une affection grave, l’amélioration des modalités d’utilisation et d’accès aux directives anticipées, le dossier médical partagé et l’espace numérique de santé, la mise en place d’une campagne d’information et de sensibilisation relative au deuil et à l’accompagnement des personnes endeuillées, de collecter des données sur la sédation profonde et continue jusqu’au décès
La création d’une nouvelle catégorie d’établissement social ou médico-social (ESMS) dénommée «maison d’accompagnement et de soins palliatifs» (art. 10), intermédiaire entre le domicile et l’hôpital, ayant vocation à accueillir et à accompagner les personnes en fin de vie ainsi que leur entourage au sein de petites unités de vie proposant une prise en charge globale et pluridisciplinaire ne manquera pas d’interroger, tant sur le plan de l’opportunité, de la déshumanisation que de l’efficience économique et ce, alors que l’article 11 vise à s’assurer que tous les Ehpad consacrent un volet relatif aux soins palliatifs et d’accompagnement dans leur projet d’établissement.
Surtout, pivot de la prise en charge de la fin de vie, l’article 16 précise que l’équipe pluridisciplinaire est obligatoirement incluse dans la procédure collégiale pour enclencher une sédation en élargissant sa composition avec l’ajout du médecin traitant notamment. Il permet en outre aux proches qui désapprouvent la décision motivée de la procédure collégiale, si la personne n’est pas en état d’exprimer sa volonté, la possibilité d’enclencher une procédure de médiation. A cet égard, l’article 20 vise à inclure obligatoirement l’équipe pluridisciplinaire dans la procédure collégiale pour enclencher une sédation.
Enfin, l’article 21 constitue un gage financier pour l’État et la sécurité sociale.
3. Depuis 1988, de nombreux travaux ont démontré que les questionnements soulevés autour de la fin de vie renvoyaient principalement à la question des soins palliatifs dont la disponibilité apparaît régulièrement comme insuffisante.
L’évocation de situations particulières, au demeurant particulièrement dramatiques, conduit à solliciter le médecin afin qu’il abrège la vie, alors que dans le même temps, il est tenu par les quatre obligations essentielles de son serment soulager les souffrances, ne pas prolonger abusivement les agonies, ne jamais provoquer la mort délibérément et agir en toute indépendance dans l’intérêt de son patient.
Il restera à démontrer si l’évolution du texte, son adoption et la mise en œuvre effective du texte susceptible d’être adopté est de nature à désamorcer le débat autour du projet de loi sur la fin de vie. Rien n’est moins sûr, une proposition de loi relative à « la fin de vie » a également déposé à l’Assemblée Nationale le 11 mars 2025. En effet, le premier projet, présenté en Conseil des ministres le 10 avril 2024 incluant les soins palliatifs et l’aide à mourir n’a été repris par le gouvernement dans le cadre de la nouvelle législature que sur le premier volet. Ce découplage mettra nécessairement en exergue le rôle particulier que la société, confrontée aux attentes des patients en grande souffrance, entendrait confier aux médecins à rebours de leur non seulement de leur serment mais, de l’esprit même de ce serment.