Le capitalisme, modèle irremplaçable de croissance et de développement
Dans cet article, Xavier Lagarde explore la relation complexe entre la France et le capitalisme, soulignant les critiques persistantes et les compromis historiques. Il argumente en faveur d'un libéralisme pragmatique et exigeant, mettant en avant l'importance de l'éthique et de l'investissement réel pour assurer la survie et le progrès de la société. Découvrez une analyse nuancée du rôle de l'individu, de l'entreprise et de l'État dans le développement économique.

Je suis juriste et civiliste de formation. Mon propos se situe nécessairement à un niveau plus individuel et moins à un niveau institutionnel, voire géopolitique. Je ne dis pas cela pour dire que mon point de vue est plus intéressant que celui qui a déjà été soutenu, mais tout simplement pour indiquer que je vais tenter de parler de ce que je connais le moins mal.

Cette crise est aujourd'hui l'occasion d'une avalanche de critiques sur le capitalisme. Pour certains, enfin nous allons procéder aux remises en cause nécessaires. L’on voit d'ailleurs que reviennent à la mode des discours sur les fameuses contradictions du capitalisme.

Je pense, surtout après avoir écouté ce que je viens d’entendre sur l’antagonisme entre libéralisme occidental et capitalisme oriental, que ces critiques sont plutôt une mauvaise nouvelle et que nous devons avoir une certaine fierté de ce que nous avons fait, en ce compris les réussites et parfois les nuances qu'appelle le capitalisme à l'occidental.

Ces critiques du capitalisme ne sont pas une nouveauté. La France est une spécialiste du genre. Depuis toujours, le capitalisme est chez nous en situation de compromis parce que - ce sont des choses que nous connaissons parfaitement bien - la France est fille aînée de l’église catholique et elle a toujours eu une oreille assez attentive aux chants de la lutte des classes. Je pense d’ailleurs que les deux phénomènes sont corrélés. J’entendais il y a quelque temps le philosophe Alain Badiou parler de l’amour et de la fidélité. En fermant les yeux, on croyait entendre du Benoît XVI, mais je passe.

En dehors de cette conjonction, le capitaliste a dans un tel contexte très mauvaise presse. De fait, c’est un individu qui investit, qui a donc du numéraire et choisit de l’immobiliser. On espère que cette immobilisation permettra de financer une activité, mais ce que regarde ce capitaliste qui investit, c’est évidemment le retour sur investissement.

A un moment ou à un autre, ce capitaliste sera bien sûr invité à venir sur le marché, à faire des échanges. Mais lorsqu'il pratique ces échanges, il ne voit pas les liens qui se créent. Ce qui l’intéresse, ce sont les biens qui s’accroissent. Il voit les biens et non pas les liens et, au fond, ce qui l'intéresse chez autrui, c'est ce qu'autrui peut lui rapporter.

On est donc bien loin des solidarités de la doctrine catholique du don de soi et on est beaucoup plus proche de la lutte des classes puisque l'individu qui cherche à s’enrichir est très vite soupçonné d'obtenir cet enrichissement au détriment d’autrui.

Quelle a été la solution française pour rendre le capitalisme et le capitaliste digestes ? La solution française a consisté à placer la volonté de croissance, qui détermine l'action de l'opérateur capitaliste, au-dessus des individus. Il faut l'inscrire dans une logique collective, et cette logique collective permettra que la croissance profite à tout le monde.

Ceci donne deux choses que nous connaissons très bien :

  • la mise sous contrôle de l’économie par une administration, c'est-à-dire une économie administrée, mais je ne ferai pas un long exposé sur la tradition colbertiste française ;
  • au niveau macroéconomique - ceci est peut-être plus intéressant pour mon propos-, le développement d’une conception que l’on a appelée institutionnelle de l’entreprise.

C’est l’idée que l’entreprise est une collectivité, une communauté d’hommes, et que, s’il y a au sein de cette communauté des divergences (bailleurs de fonds d’un côté, travailleurs, salariés de l’autre), malgré tout, a minima, ces individus s’associent pour faire fructifier un projet commun qui est le projet d’entreprise.

Ce modèle de « l’entreprise communauté », nous le valorisons aujourd'hui encore à travers l’expression de capitalisme d’entrepreneurs. Au fond, le capitalisme d’entrepreneurs est un capitalisme d’hommes, de capitaines d’industrie, de chefs d’entreprises qui sollicitent, qui développent un projet et qui, ce faisant, agrègent les communautés et créent du lien.

Aujourd'hui, on valorise ce modèle qui a assez bien fonctionné sans avoir jamais suscité une profonde unanimité, ce qui est un peu paradoxal. C’est au moment où il fonctionne mal qu’on le valorise. Peut-être regrette-t-on de ne plus être capable de faire en France ce que, justement, les Chinois sont capables de faire.

Si l’on valorise ce système, c'est parce que l’on a, derrière cette valorisation, le souci de critiquer vertement ce qui serait l'antithèse du capitalisme d'entrepreneur qui est le capitalisme financier qui se singularise par le fait qu’il redonne aux individus la capacité d’exercer leur volonté de croissance et qui cède aux sirènes de l’individualisme là où le capitalisme d’entrepreneurs avait su créer un projet commun.

Cette critique du capitalisme financier et de l'individualisme qui le sous-tend est, je pense, en partie dépassée. Elle tourne à vide et manque d’efficacité. Pourquoi ? Les acteurs comme les contestataires de ce capitalisme financier sont de longue date (depuis au moins trente, quarante ans) tous largement acquis à la cause de l’individualisme.

Les acteurs et les bénéficiaires du capitalisme financier ont évidemment trouvé cela très bien, mais je voudrais signaler - nous le savons tous, mais peut-être ne le disons-nous pas suffisamment - que ceux qui ont pratiqué ce capitalisme financier (les financiers au sens large) sont pratiquement tous issus des canaux de la méritocratie républicaine. Si l’on schématisait les choses, ce sont des individus, des jeunes sortis des écoles (grandes évidemment) qui, au lieu de s’orienter vers l’industrie, se sont, devinez pourquoi, plutôt orientés vers la finance.

Ceux qui ont développé ce capitalisme sont des élites parfaitement normalisées, avec finalement le sentiment d’un certain «avoir droit» que donnent les réussites institutionnellement reconnues.

Autrement dit, nous ne sommes pas en face d’une invasion, d’une ploutocratie lointaine. Non. Ces appétits financiers prennent source au cœur du système. Ce n’est certainement pas un hasard si la figure du trader déviant s’est incarnée dans un personnage qui, a-t-on découvert après coup, était « un petit chose venant d’une province lointaine » qui cherchait à prendre sa revanche sur des collègues issus du sérail.

Ceux qui contestent ce modèle en ont bien entendu souffert, il ne s’agit pas de le nier, mais ceux qui contestent ce modèle sont à mon avis également acquis à la cause de l’individualisme, non pas par l’effet des bonus, mais par l’effet des acquis sociaux.

Les acquis sociaux permettent de libérer (formule de Beveridge) les hommes du besoin et au fond de les soustraire peu à peu à l’empire de la nécessité et plus que cela : faire en sorte que le travail devienne de moins en moins pour les individus une nécessité avec, à l’extrême fin, la possibilité de vivre mal sans doute, mais de vivre sans travailler.

Le rapport entre l’individu et le travail se distend et l’individu peut considérer son travail non pas comme un dû, mais comme un bien qu’il est prêt à mobiliser si la mobilisation de ce bien lui apporte un retour sur investissement qu’il juge suffisamment satisfaisant.

On voit que cet individu, par rapport à son travail, se comporte comme un capitaliste qui s'ignore. Sa seule richesse (son travail), il l'investit si le retour sur investissement est suffisamment satisfaisant au regard de ses aspirations.

Si tout le monde est devenu capitaliste, si tout le monde, à tout le moins, est devenu individualiste, on peut se prendre la tête entre les mains et se dire : « Mon Dieu, qu'avons-nous fait ? Il est grand temps d'appuyer sur la pédale de frein et de passer la marche arrière ». Je pense que non.

Ce résultat est malgré tout l'évolution d'un certain nombre de décisions que nous avons prises collectivement, d'une évolution que nous avons souhaitée, de choses que nous avons voulues. Si nous l’avons voulu, assumons-le. Je pense après tout que la fierté est de mise plutôt que le repentir.

Il y en a certainement beaucoup d’autres, mais je vois au moins deux arguments sérieux à l'appui de cet individualisme.

Un argument théorique est que donner à chaque individu la capacité de maîtriser en partie - on ne le maîtrisera jamais totalement - son devenir est un projet qui a quelque attractivité. Après tout, l’esprit des Lumières n'est pas si loin et toute une tradition intellectuelle a valorisé, non pas seulement le dévouement à la chose commune, mais aussi ce que l’on peut appeler le courage de soi. Vous connaissez tous la formule de Spinoza : « Persévérer dans son être autant qu’il est en nous-mêmes ».

D’un point de vue pratique, l'individualiste est utile à la collectivité.

L'entrepreneur est d'abord un individu qui supporte généralement assez mal les contraintes du salariat. L'inventeur est un individu qui, généralement, ne se satisfait pas des savoirs constitués. Le grand créateur est un individu qui prend des libertés avec l'académisme. Autrement dit, c'est l'individu qui sait entrer en polémique avec les savoirs que sa collectivité d'appartenance lui donne, qui sait aussi faire progresser cette collectivité.

Ce système est bien sûr aujourd'hui menacé de toutes parts, mais la question que nous devons nous poser n'est pas celle d'une remise en cause. Elle est celle de notre survie.

Cette survie, je pense, passe - ce sont des propositions modestement formulées - par un libéralisme que l’on pourrait qualifier à la fois de pragmatique et d’exigeant.

Pragmatique, évidemment. Il n'y a pas de réussite individuelle s’il n’y a pas de réussite collective et il faudra que nous réfléchissions sérieusement à ce que les talents retrouvent le chemin de l'industrie, de l'innovation, de la technologie plutôt que ce qu'ils ont fait depuis de nombreuses années : les chemins de la finance. Il y aura toujours des financiers, on en aura besoin, mais il n'est certainement pas inutile que d'autres voies soient plus sérieusement engagées par ce que l’on appelle les talents qui seront les élites.

Il n'y a pas 36 000 solutions, il faudra les intéresser. De ce point de vue, ce que font les pouvoirs publics actuels qui consiste à rogner sur les rémunérations des financiers et à multiplier les synergies entre le secteur de l'industrie, de la technologie et de la recherche et de l’enseignement supérieur vont, à mon avis, dans le bon sens, mais il faudra certainement réfléchir sur plus de capital risque et certainement aussi peut-être revoir le régime des inventions de salariés, en tout cas réfléchir sur les moyens d’intéresser les individus à cette activité industrielle et à ces innovations technologiques.

Un libéralisme exigeant ; ce sera le mot de la fin. Aucun système n’est une martingale et tout système, le libéralisme parmi d’autres, est exposé à des dérives.

Nous les avons vues ces derniers temps. Au fond, la dérive du capitalisme est caractérisée lorsque l’individu qui dit investir, en réalité, n’investit rien, s’empresse de se débarrasser de tous les risques qu’il a pu créer et n’espère que des gains. Un certain nombre d’individus ont pu, dans les dernières années, correspondre à ce portrait.

Ce libéralisme doit aller de pair avec une éthique et tout simplement une éthique libérale. Cette éthique est tout simplement d’être fidèle à ce que l'on est censé faire. Si l’on est censé investir, être fidèle à cette idée d’investissement pour croître, c’est au moins investir quelque chose et non pas rien.

Notre bon vieux Code civil rappelait que les contrats doivent avoir un objet. Il faut que les investissements aient aussi un objet et cet objet, il y a des moyens - nous pourrons en reparler après - d’en définir le contenu, bref, d’exercer un certain contrôle pour que les individus soient à la hauteur des libertés qu’ils s’accordent.

Je ne pense pas que nous ayons à souffrir d'un excès de capitalisme, mais plutôt d’une insuffisance des capitalistes. Merci.